Les gestionnaires émergents sortent de l’ombre

Publié le 03 mai 2014 JEAN GAGNON
Les Affaires

Les jeunes gestionnaires québécois se regroupent pour mieux séduire les investisseurs fortunés et les caisses de retraite. Portrait de financiers qui veulent former les Fiera Capital et Hexavest de demain.

Gestionnaires : la relève sort de l’ombre

Montréal regorge de talents en gestion de portefeuille. Cependant, les jeunes sociétés de gestion peinent à se voir confier des capitaux suffisants pour prendre leur envol, explique Geneviève Blouin, présidente du Conseil de gestionnaires en émergence (CGE). Ce nouveau regroupement vise à mieux faire connaître les firmes dont les actifs sont inférieurs à 1 G$. La plupart de ces gestionnaires ne visent pas uniquement les grandes institutions, mais aussi les particuliers fortunés, les fonds de dotation et les investisseurs accrédités. Voici un portrait de ces gestionnaires de la relève.

Geneviève Blouin, Altervest

Spécialiste de la gestion des produits dérivés, Geneviève Blouin, 40 ans, a fondé Altervest en 2010. Deux ans plus tard, Caroline Bédard, spécialiste de la gestion de portefeuilles de titres immobiliers, s’est jointe à la firme. Le jumelage de ces compétences leur permet d’offrir des solutions de placement dans l’immobilier. D’abord, le Fonds Altervest Reit absolu qui a été lancé en février. L’objectif du fonds est de réaliser un rendement net de frais de 8 % à 13 % supérieur aux Bons du Trésor de 91 jours, tout en maintenant la volatilité à l’intérieur d’une fourchette de 6 % à 10 %. Les gestionnaires investissent dans des titres de sociétés immobilières cotés en Amérique du Nord. Il sera composé de positions longues et à découvert, ainsi que de positions par paires. «Le processus d’investissement repose sur des analyses économiques et fondamentales approfondies», explique Geneviève Blouin. « Cela nous permet de déterminer les entreprises dont le cours boursier est anormalement trop haut ou trop bas », ajoute-t-elle. Une grande latitude est accordée au gestionnaire. À l’analyse fondamentale s’ajoutent des éléments de gestion tactique, telles des stratégies de ventes d’options couvertes. Altervest gère pour des comptes ségrégués (mandats distincts) une stratégie marché neutre immobilier nord-américain. L’objectif est de générer un rendement net de frais de 5 à 7 % audessus des bons du Trésor de 91 jours, tout en maintenant la volatilité à un taux de 4 % à 9 %. Le total des actifs sous gestion d’Altervest est encore inférieur à 10 millions de dollars. Mais Geneviève Blouin croit qu’il atteindra 40 M$ à la fin de l’année. « Altervest est un bel exemple de firmes ayant des difficultés à obtenir les fonds de départ, mais nous sentons que la traverse du désert achève. » Les frais de gestion sont conformes au modèle des fonds de couverture, soit 2 %, plus 20 % du rendement excédant un certain niveau. Geneviève Blouin est à l’origine de la creation du Conseil des gestionnaires en émergence. Elle tente de rallier tous les intervenants de l’industrie pour qu’ils puissent faire front commun et ainsi faciliter l’obtention de mandats de gestion par les plus petits gestionnaires.

David Bilodeau et Denis Paquette, Majestic Gestion d’actifs

En 2008, David Bilodeau et Denis Paquette, qui ont respectivement 33 ans et 40 ans, cofondateurs de Majestic Gestion d’actifs, lançaient un premier fonds utilisant la stratégie dite « Contrats à terme gérés ». La stratégie consiste à prendre des positions longues ou à découvert dans des contrats à terme sur tous les marchés ou les indices mondiaux d’actions ou d’obligations. Les sommes sous gestion de ce fonds totalisent près de 10 M$. Comme il s’agit d’un fonds de contrats à terme, il est possible d’y appliquer un effet de levier. Dans ce cas-ci, l’effet de levier peut atteindre 3 pour 1. « Le fonds se veut non-corrélé à la Bourse, ce qui en fait un complément de diversification intéressant aux portefeuilles traditionnels d’actions et d’obligations », dit David Bilodeau. Le fonds s’avère plus efficace lors des périodes de forte volatilité, comme cela a été le cas en 2008, où il a généré un rendement de plus de 20 % malgré la crise. Fait intéressant et qui montre que le rôle du fonds est bien compris, il a séduit un premier investisseur institutionnel au début de 2014, bien que son rendement ait été négatif en 2011, 2012 et 2013. « Il s’agit d’un pas en avant très important pour nous, car cela valide l’opération », se réjouit M. Bilodeau. Majestic gère aussi un fonds de métaux industriels dont l’actif sous gestion frise les 8 M$. Un troisième fonds multistratégies sera lancé en juin. Membre du CA du Conseil des gestionnaires en émergence, David Bilodeau a créé, avec son équipe chez Majestic, un « Hedge Fund Hotel ». Il s’agit d’une structure visant à offrir des outils aux gestionnaires émergents, comme des conseils pour répondre aux exigences réglementaires, de la recherche et du soutien administratif. « Le Hedge Fund Hotel permet entre autres de réduire les coûts d’entrée du gestionnaire émergent dans le monde des fonds d’investissement», explique David Bilodeau.

Philippe Hynes, Tonus Capital

C’est en 2009 que Philippe Hynes, 33 ans, s’est joint à Tonus Capital, attiré par le fonds lancé par Steve Boutin, aujourd’hui à l’emploi d’une grande firme de gestion de Toronto. Tonus Capital n’offre qu’un seul produit. Il s’agit d’un fonds d’actions nord-américaines composé de 15 titres triés sur le volet. Le style de gestion privilégie l’approche valeur, c’està- dire qu’il recherche les meilleures sociétés dont l’évaluation boursière est inférieure à leur valeur intrinsèque. Il vise aussi l’investissement à long terme. La rotation annuelle du portefeuille touche le tiers des titres. C’est donc dire que les placements restent en portefeuille environ trois ans. De plus, le gestionnaire n’est pas soumis à une obligation d’être totalement investi en tout temps, comme c’est le cas de plusieurs fonds communs et autres mandats de gestion. « Le fait de pouvoir conserver des liquidités lors des périodes d’incertitude confère à notre gestion une flexibilité qui plaît aux investisseurs », dit Philippe Hynes. Après cinq ans, la firme dont il est le gestionnaire unique a 50 M$ sous gestion. Mais ça a été ardu et ça le reste, reconnaît-il. « Il est difficile de se faire connaître alors qu’on ne peut pas compter sur un réseau de distribution», dit-il. De là son intérêt pour le Conseil des gestionnaires en émergence, au CA duquel il siège. Le CGE mettra à jour la liste et les spécifications des gestionnaires disponibles au Québec. « Si ce n’était que pour cela, l’organisme apportera une contribution significative au développement des gestionnaires en émergence», dit-il. Moins de la moitié des actifs sous gestion de Tonus proviennent d’institutions financières. Bien que les rendements du fonds aient été excellents, soit un taux annuel compose de 19,42 % au cours des cinq dernières années. La taille du fonds constitue en elle-même un problème pour séduire les institutions financières et les caisses de retraite. « Les institutions ne veulent pas que leurs investissements représentent plus qu’un certain pourcentage de l’ensemble des actifs du fonds », explique le gestionnaire. Les frais de gestion peuvent varier en fonction de la taille de l’investissement. Ils sont en moyenne de 1,5 % par année.

François Parenteau, Olos Capital

De son bureau à Saint- Bruno, François Parenteau, 49 ans, gère depuis 2002 un fonds de couverture classique, le Defiance Fund. Les fonds de couverture classiques misent à la fois sur des positions longues et des positions à découvert. L’actif sous gestion du fonds totalise 30 M$. La règle est de détenir en tout temps des positions à découvert afin de diminuer le risque du portefeuille. En moyenne, les positions à découvert totalisent de 15 % à 20 % de la valeur du fonds. « Malgré les hausses importantes des Bourses en 2013, le fonds Defiance n’a pas perdu d’argent avec ses positions à découvert », dit M. Parenteau. Le fonds peut conserver une certaine portion en encaisse en fonction des occasions sur le marché. L’encaisse n’est donc pas dictée par une analyse économique des marchés, explique le gestionnaire. Le choix des investissements repose entièrement sur l’analyse fondamentale des sociétés, et non pas sur le momentum des titres. Le rendement annuel composé du fonds depuis sa création est de 12,2 %. En 2013, son rendement a été de 23,6 %. Le fonds fait l’objet de frais de gestion annuels de 1 % de l’actif, plus 20 % du rendement généré sans devoir atteindre au préalable un certain objectif. Le fonds Defiance est détenu par des investisseurs américains et londoniens, ainsi que quelques ontariens. François Parenteau s’enorgueillit du fait que son fonds existe depuis 2002. « Les fonds de couverture québécois qui existent depuis plus de 10 ans sont peu nombreux. » Le gestionnaire souhaite la croissance de ce fonds, qui est encore petit. Il estime que la mise sur pied du Conseil des gestionnaires en émergence pourra l’aider à cet égard.

Paul Beattie et Jacques Lacroix, BT Global

Juste avant l’éclatement de la crise financière de 2008- 2009, Paul Beattie et Jacques Lacroix, qui ont respectivement 51 ans et 48 ans, fondaient BT Global, un fonds de couverture classique. Le fonds est destiné à combiner des positions longues et des positions à découvert en actions, autant canadiennes qu’américaines et internationales. Le fonds n’utilise aucun effet de levier: il ne fait pas appel aux produits dérivés ni à l’emprunt. Seulement l’argent des investisseurs. Bien que le fonds de BT Global ne soit assujetti à aucune règle concernant la quantité de positions longues relativement aux positions à découvert, les gestionnaires visent à maintenir les positions à découvert à un minimum. « Nous avons un biais long et n’entendons pas être un fonds neutre au marché, c’est-à-dire un fonds qui vise un rendement absolu, peu importe les conditions des marchés », explique Jacques Lavoie. « Nous sommes partis de zéro en 2006 avec notre argent et celui de notre cercle de connaissances», raconte Paul Beattie. « Ça n’a pas été facile, car l’éclatement de la crise, conjugué aux scandales Madoff et Lacroix, a rendu bien des gens très nerveux. » Aujourd’hui le fonds totalise 40 M$ en actifs sous gestion. L’objectif est de l’amener à 200 M$. Depuis sa création, le fonds a généré un rendement annuel moyen de 12,8 %. Il a été de 27,2 % pour 2013 et de 9,7 % pour les deux premiers mois de 2014. L’investissement minimum est de 150 000 $ et les frais de gestion sont de 2 %, plus 20 % du rendement excédant un certain niveau. La sélection des investissements repose sur l’approche descendante (qu’on qualifie de topdown, dans le jargon financier). On détermine d’abord les secteurs intéressants, puis on fait le choix des titres à l’intérieur de ces secteurs. Afin de se distinguer, les gestionnairs évitent les très grandes capitalisations, comme Apple et Google. « Les petites et les moyennes capitalisations sont davantage notre terrain de jeu », explique Jacques Lacroix. Les deux associés considèrent que Montréal est une excellente ville pour favoriser l’émergence de gestionnaires. Toutes les grandes banques, les grands courtiers et les grands fonds d’investissement visitent Montréal en raison de la présence de la Caisse de dépôt et placement du Québec et de Fiera Capital, deux des plus grandes entités canadiennes dans le monde de l’investissement. « Mais pour optimiser le temps passé à Montréal, ils visitent également les plus petits intervenants. Cela n’est pas possible à Toronto où les petits se perdent parmi un grand nombre de gestionnaires de taille moyenne », explique Paul Beattie.

Convaincre particuliers fortunés et caisses de retraite

Pour favoriser son développement, le Conseil des gestionnaires en émergence (CGE) profitera de la présence sur son conseil d’administration de Robert Brunelle, premier vice-président chez Hexavest, et de Michel Delisle, président de Finance Montréal. M. Brunelle pilotera le dossier mentorat, et M. Delisle celui des relations avec la communauté financière. « Il faut faire la démonstration que les institutions financières, les caisses de retraite et les fortunes privées auraient avantage à confier la gestion d’une partie de leurs actifs à des gestionnaires en émergence », dit Robert Brunelle. Les petits gestionnaires doivent composer avec un risque réputationnel, explique-t- il. « Pour un membre d’un comité de caisses de retraite, il est plus facile de choisir parmi les grandes firmes de gestionnaires telles Addenda Capital ou Hexavest », dit-il. Le mentorat consistera à mousser la promotion des gestionnaires en émergence par des conférences, des stratégies de marketing et des activités leur permettant d’accroître leur visibilité. « Un réseautage efficace permettra de favoriser l’entraide entre ces gestionnaires et la communauté financière, et facilitera l’obtention de mandats de gestion », ajoute Michel Delisle. Les petits gestionnaires font également face à un problème quant au processus de vérification au préalable (due diligence). Les coûts sont élevés proportionnellement à la taille des mandats. « Il nous faudrait un responsable de la due diligence, qui dresserait une liste des gestionnaires convenant aux exigences », dit Michel Delisle. Pour y arriver, une des solutions envisagées serait la création d’un fonds de fonds.

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